Seize heures. Mon garçon revient de l’école. Il est en colère. Il lance son sac à dos sur le sol, arrache littéralement son manteau de sur son dos et le jette par terre. Il tourne en rond dans la maison. Insulte sa sœur, frappe le sol avec ses pieds, refuse de me regarder.
Je lui demande ce qui se passe, pourquoi est-il aussi en colère? Il ne me répond pas.
Le souper est sur le feu, je m’affaire à tout finaliser afin qu’on puisse tous se mettre à table. Il s’approche de moi et me demande si je le déteste au point de vouloir l’empoisonner. Il me hurle qu’il déteste les saucisses italiennes, que ça lui donne mal au cœur et que ça le fera vomir. D’un ton sarcastique, il me félicite pour mon choix de repas, m’encourage à continuer à trouver d’aussi bonne recette, me remercie de gâcher sa journée…
Ma patience a des limites. Après 30 minutes de ce petit manège, je finis par ressentir un tantinet de colère. Il refuse de m’expliquer la raison de sa colère et déverse sa hargne sur sa sœur, son frère et moi. Incapable de percer le mur qui nous sépare, je l’envoie se calmer dans sa chambre.
Furieux, il explose! Il jette la cuisinière de sa sœur par terre, frappe dans les murs avec ses pieds, claque la porte de sa chambre. Il hurle qu’il déteste sa vie, qu’il n’aurait jamais dû venir au monde, que de toute façon je ne suis pas heureuse de l’avoir comme enfant. Il ressort ensuite de sa chambre pour me lancer des objets qui s’y trouvent et me hurler qu’il veut mourir, qu’il mettra sa tête sous l’eau, qu’il prendra un couteau, qu’il se jettera dans la rue… Il ajoutera qu’il est incapable d’être normal et que peu importe les efforts qu’il déploie pour s’améliorer, rien ne fonctionne.
Je suis seule avec mes trois enfants à la maison. Mon fils, en crise, m’empêche de finir le souper et de prendre soin de ma fille de 3 ans et de mon fils de 17 mois. Mais au-delà de ça, ses paroles ont l’effet d’un coup de deux par quatre sur mon cœur. J’ai la poitrine qui brule, je contiens mes larmes, j’essaie de rester calme. Je sais que si je perds le contrôle, je ne lui serai d’aucun secours.
Après un autre trente minutes de propos haineux et suicidaires, j’appelle un ami qui saura, je l’espère, me venir en aide. Je suis à bout de ressources. Je ne sais plus quoi faire. Nous convenons que si mon fils ne retrouve pas son calme, continu de me frapper et persiste à crier qu’il mettra fin à ses jours, je devrai appeler les ambulanciers.
Horrifiée par l’idée que je devrai faire face à deux gaillards qui me jugeront de ne pas savoir comment venir à bout de mon enfant de 6 ans, je tente une dernière approche. J’entre dans la chambre de mon fils, qui hurle qu’il veut mettre sa tête sous l’eau et mourir. Je m’approche et le saisie rapidement. Je le tiens contre moi, contre sa volonté. Je le tiens fermement, il me donne des coups avec sa tête, tente de me mordre, m’écrase les orteils avec ses talons. Je ne sais pas combien de temps ça a duré, mais je n’ai jamais lâché. Je n’ai rien dit. J’ai attendu que ça cesse.
Épuisé, mon fils s’est tourné vers moi et m’a regardée. J’ai relâché mon étreinte, j’ai appuyé sa tête contre mon cœur et je l’ai bercé. Je ne pleurais pas. Lui non plus. Je lui ai demandé s’il voulait se joindre à nous pour le souper. Il a répondu oui.
Assis à table avec sa sœur, son frère et moi, mon garçon s’est excusé d’avoir perdu le contrôle. Son regard fixé sur le mien, il m’a dit qu’il se sentait mieux, mais qu’il n’avait pas menti : il voulait mettre sa tête sous l’eau et mourir.
Ne sachant quoi répondre, je lui ai demandé s’il avait l’intention de le faire ce soir. Il a répondu non. Il a ensuite demandé du dessert.
Ce soir-là, je me suis couché le cœur meurtri. J’avais l’impression d’avoir une enclume sur la poitrine, que ma tête était en feu. J’aurais voulu hurler, mais je n’y arrivais pas. Cette nuit-là, je n’ai pas dormi. J’ai pensé. J’ai réalisé que notre fils avait besoin de nous plus que ce que je n’aurais pu croire. Que son TDAH et son trouble anxieux faisaient définitivement partie de lui. Que nous devrions trouver des façons de l’aider, de l’accompagner dans ses perceptions erronées afin qu’ils grandissent outillés pour faire face à son anxiété.