lundi 10 octobre 2011

Mea-culpa

     Avant même de songer à avoir des enfants, je savais certaines choses qui me permettaient de me croire au-dessus de bien des choses.  
     Dès ma tendre enfance, j’ai été conditionnée à croire que l’hyperactivité était un phénomène normal, qui ne demandait que quelques ajustements. Ma mère m’expliquait souvent que les enfants hyperactifs n’avaient besoin que d’une chose : bouger. C’est probablement pour cette raison que je n’avais accès à notre demeure qu’à l’heure des repas. Je bougeais beaucoup. Je parlais sans arrêt. J’avais peur la nuit et j’avais beaucoup de difficulté à m’endormir.

     J’ai grandi avec la conviction que je n’étais pas hyperactive et que le Ritalin était une béquille dont les parents incompétents avaient besoin parce qu’ils ne savaient pas prendre soin convenablement de leurs enfants. Ma mère me disait souvent : jamais tu ne prendras ça. JAMAIS!

     Je suis devenue une adulte, et j’ai continué de véhiculer le même discours. Dans mon esprit, les enfants avaient besoin de bouger, uniquement et simplement.

     Près de 20 ans plus tard, je suis confrontée à mon propre discours. Je suis mère de trois enfants, dont un est hyperactif.

     À 18 mois, Alexandre ne faisait pratiquement plus de sieste. Ses calepins de garderie, que je garde précieusement et que je relis parfois, me rappellent que notre fils avait déjà énormément d’énergie et de caractère. Il a toujours été un enfant attachant, intelligent et volubile, mais avant même l’âge de trois ans il collaborait difficilement avec les adultes et refusait d’obtempérer. Nous avons joué à super Nanny plus d’une fois, avec peu de résultats.

     À son entrée au CPE, il s’intègre bien, mais fait fulminer certaines éducatrices. Toutefois, il en croisera quelques-unes qui arriveront à l’encadrer et à l'aider à fonctionner selon les règles établies.

     À son entrée à l’école, les choses se passent difficilement. La structure rigide et l’abondance de règles à respecter ont tôt fait de le rendre colérique et dérangeant. Les tâches sont difficiles à accomplir en classe, ses relations sociales sont perturbées et il en vient même à devenir violent.

     Dans mon esprit à moi, les enfants ont simplement et uniquement besoin de bouger.

     Après plusieurs semaines difficiles, une évaluation en psychologie et une rencontre avec le pédiatre, nous devons nous résigner : notre enfant est atteint d’un TDAH sévère de type mixte. Si nous ne l’aidons pas, il ne fonctionnera pas en classe… ni ailleurs.

     Dans mon esprit à moi, les enfants ont simplement et uniquement besoin de bouger.

     Nous acceptons donc de tenter l’usage d’une molécule chimique visant à aider notre fils à être plus attentif en classe et à parvenir à fonctionner selon les règles sociales et disciplinaires de notre système scolaire et de notre société.

     Près d’un an plus tard, Alexandre a changé de molécule trois fois et prend maintenant un autre médicament pour l’aider à dormir. Un an plus tard, j’administre des comprimés à mon enfant de 6 ans trois fois par jour : matin, midi et soir. Un an plus tard, force est d’admettre que certains enfants n’ont pas simplement et uniquement besoin de bouger.

     Je dois donc maintenant faire mon mea culpa de mère ignorante. Je dois me rendre à l’évidence qu’avant d’avoir les deux pieds dedans, on ne peut juger les parents qui se retrouvent devant un choix déchirant : administrer des médicaments à leur enfant pour lui permettre de réussir à l’école et dans la vie ou refuser de le faire en sachant qu’ils deviennent les auteurs d’une histoire dont on ne connaît ni le déroulement ni la fin.

     Comme parent, malgré les déchirements que cela a pu occasionner, nous avons choisi d’aider notre fils. Nous sommes passés dans le clan des méchants, dans celui des parents qui ne savent pas prendre soin de leur enfant convenablement. Si notre fils avait été diabétique ou épileptique, nous lui aurions administré ses médicaments, quotidiennement, sans remords de conscience. Les gens autour de nous auraient certainement eu beaucoup de compassion pour le drame que nous vivions. Malheureusement, le TDAH n’est pas le diabète ni l’épilepsie. Adieu compassion.

     Notre fils aura besoin de nous encore plusieurs années, peut-être plus que nos autres enfants. Il devra vivre avec le fait qu’il prend des médicaments pour un trouble que l’on ne voit pas et que l’on connaît peu. Il est déjà suffisamment intelligent pour comprendre que tous les enfants ne prennent pas de médicament. Il connaît les termes anxiété, déficit d’attention et… différence. Pour le moment, nos explications lui suffisent. Il sait que nous voulons l’aider et que c’est pour cela qu’il voit autant de spécialistes. Il serait prématuré de commencer à s’inquiéter pour le futur, mais vous savez comme moi que nous y avons songé. Que ferons-nous quand Alexandre voudra prendre sa première bière ou fumer son premier joint? Que ferons-nous s’il décide, par un beau matin ensoleillé, qu’il n’a pas besoin de médicaments et que dorénavant… il fonctionnera sans?

     À chaque comprimé que mon fils avale, j’ai un doute dans ma tête. Fais-je la bonne chose, ai-je vraiment envisagé toutes les autres solutions, ai-je accepté le traitement pharmacologique trop tôt? Trois fois par jour, je doute un peu plus.

     Mais quand mon fils revient enfin de l’école avec des cercles verts dans son agenda, quand il me parle enfin de ses jeux d’enfants avec ses amis et qu’il est content de tous les privilèges qu’il gagne à être capable de rester assis et concentré sur la tâche… les doutes s’envolent et je sais que je fais ce qu’il y a de mieux pour lui. Je fais de mon mieux. Je fais ce que je sais faire de mieux : être sa mère.

2 commentaires:

  1. Mon amie, qui tient le blogue " Mère célibataire débordée! " a écrit un billet sur le même sujet le même jour... Ou vous vous lisez mutuellement, ou vous avez vu ou entendu le même reportage quelque part, ou le hasard a fait son oeuvre...

    http://merecelibatairedebordee.blogspot.com/2011/10/de-linsuline-pour-les-diabetiques.html

    Peu importe, je vous comprends toutes les deux...

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  2. Maman Tupperware... Merci. Comme Lionne le dit, j'ai écrit hier sur le même sujet... Courage!

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