C'est fait. C'est officiel. La rentrée est terminée. Pour une mère comme moi, ce fut un moment de fébrilité extrême. Comme vous le savez, j'ai le privilège d'être la mère de trois beaux enfants. Comme vous le savez aussi, notre ainé éprouve des difficultés de comportements importants. Comme vous le savez, je me remets perpétuellement en question quant à mon rôle parental, à mes interventions, à mon niveau de collaboration. Comme vous le savez..., je mène un combat que bien d’autres ont mené avant moi, celui de la recherche continuelle de solution visant à améliorer la qualité de vie de mon enfant et de ma famille.
Dans les années 70, on appelait ce genre d'enfant un « petit maudit » – comprenez ici que je me dois de rester polie. Plus tard, on trouvera des termes moins dégradants pour les identifier, on les appellera les enfants téflon ou les enfants Ritalin. Aujourd'hui, on parle d'enfants à défi particulier. Maintenant, dès leur entrée au CPE, ces enfants sont évalués, encadrés et stimulés. Lors de leur entrée dans le monde scolaire, ils sont médicamentés pour ensuite être intégrés.
Le mien, mon enfant à défi, s’oppose continuellement. À l’école, il ne respecte aucune règle, défie l’autorité, saccage ses effets scolaires, s'enfuit dans l’école, frappe ses amis, insulte la TES. Le mien, il parle déjà de décrochage, d’abandon, d’échec et affirme déjà qu’il n’ira pas à l’université. Lorsqu’il est en crise, il me déteste, me trouve nulle, me reproche de l’avoir mis au monde. Parfois, il me demande de le tuer pour que les médecins puissent ouvrir son cerveau et enfin comprendre ce qui cloche chez lui. Le mien déteste manifestement sa vie. Le mien n’a que 6 ans.
À la maison, les règles sont claires : on ne frappe pas, on ne crie pas, on respecte les membres de sa famille, on dort dans son lit toute la nuit. À la maison, il veut cuisiner, faire la vaisselle, aider son père à tondre le gazon, lire des histoires à sa petite sœur. Il cherche continuellement à faire des câlins à son petit frère ou à se blottir contre son père… Il refuse de rester seul dans une pièce, dort dans une chambre éclairée avec de la musique en continu et se réveille régulièrement la nuit : paniqué, apeuré.
Notre fils est anxieux. Demande continuellement qu’on lui répète l’horaire de la journée, les activités prévues, le nombre de minutes entre chacune de ces activités et reconfirme plusieurs fois que rien n’est annulé… Advenant le cas… CATASTROPHE!
Certaines choses sont difficiles lorsque l'on vit avec un enfant à défi. La vie familiale est perturbée, la vie de couple mise de côté. Tout tourne autour de cet enfant qui, par son comportement, réclame 210 % de notre attention. Les frères et sœur sont pénalisés de façon quotidienne… Difficile de jouer à la poupée avec sa petite princesse quand notre grand est en crise… Difficile de bercer ton bébé quand ton aîné est incapable de rester seul dans une pièce où tu n’es pas… Difficile de ne pas pleurer le soir en te couchant parce que la seule chose que tu as réussis à faire est d’assurer la sécurité d’un enfant qui, lorsqu’il perd le contrôle, devient une menace pour autrui.
Lors de nos sorties, il peine à tenir en place, il court, il parle fort, recherche les contacts avec les autres enfants présents alors que les parents de ces enfants s’éloignent afin qu’il ne puisse s’en approcher. Régulièrement, le regard des autres se pose lourdement sur nous et leurs propos viennent à nos oreilles. Des propos lourds de jugement. Des propos mesquins qui visent habituellement à remettre nos capacités parentales en doute. Des propos qui font mal et resserrent l’étau que j’ai en permanence sur le cœur et qui réussit souvent à me couper le souffle.
Lorsqu’il est absent, ces mêmes parents nous évitent, dévient leur regard, ne nous parlent pas. Lorsqu’ils nous parlent, les discussions ne sont pas fluides. Elles concernent habituellement notre garçon qui, selon eux, semble vraiment difficile. Les commentaires émis sont éloquents : votre enfant dérange, il rend le mien nerveux, Dieu merci mon enfant n’est pas dans la classe du vôtre… Votre enfant empêche les enfants normaux de progresser, il monopolise l’attention des enseignants et de tous les intervenants. Même si ces parents affirment comprendre que ce ne soit pas facile pour nous, ils nous demandent de comprendre que pour eux non plus ce ne l'est pas. Ils nous demandent de comprendre leurs craintes et celles de leurs enfants.
Ceci étant dit, j’aimerais sincèrement offrir à ces parents d’enfants « normaux » de venir passer 24 heures dans mes souliers. De venir gérer les cris, les pleurs, les insultes, sans parler des médicaments, des rendez-vous, des évaluations, des rencontres de suivis, des appels téléphoniques multiples, des rencontres informelles avec la direction de l’école et la direction du service de garde. J’aimerais leur confier le mandat de me trouver des ressources concrètes, de négocier mes absences au travail avec mon employeur, d’expliquer au dentiste que le nettoyage annuel des dents de mon fils risque de prendre plus de temps que prévu, de convaincre les parents de ses amis que nous ne sommes pas des désaxés, que nous ne maltraitons pas notre enfant… Lorsqu’un de ces parents ignorants aura relevé le défi, je pourrai peut-être faire preuve de plus de compréhension, de plus de compassion pour leurs enfants « normaux ».
Quand un de ces parents prendra le temps de me demander simplement : votre enfant semble différent, pourriez-vous m’expliquer pourquoi? Quand un de ces parents prendra simplement le temps de réfléchir à l’impact de chaque regard et de chaque commentaire... Quand un de ces parents-là me demandera simplement : comment vont vos autres enfants, alors là, l’étau se desserrera et je pourrai peut-être enfin respirer…
D’ici là, je réquisitionne le droit d’être en colère, d’être triste, de ne pas sourire et d’avoir de la difficulté à rester positive. D’ici là, je remercie publiquement tous les gens qui gravitent autour de nous et qui nous offrent leur support et leur amour. Je remercie ceux qui n’ont pas fui devant mes larmes, qui ont décroché le combiné tôt le matin ou tard le soir, ceux qui ne demandent rien en retour et qui comprennent que mon enfant à défi est et sera dorénavant le Défi d’une vie…